Le 16 juin 2022
En ces temps un peu compliqués, où l’on aurait bien envie de se cacher au fond de sa coquille, j’ai eu envie de vous parler d’un animal qui a trouvé la solution : Bernard, l’Hermite.
Je pense que tout le monde a eu l’occasion de le croiser dans sa vie, de l’observer, voire de l’embêter un peu ou, pire, de découvrir avec effroi que le si joli coquillage ramené d’une balade à la plage dégageait soudain une odeur pestilentielle. (Comme quoi se cacher au fond de sa coquille n’est pas toujours la meilleure solution.)
Mais vous êtes-vous déjà penchés réellement sur cet animal ?
Tout d’abord, les termes « bernard-l’hermite » ou « pagure » sont en fait des noms génériques derrière lesquels se cachent plus de 800 espèces. Seulement 12 espèces sont semi-terrestres, les autres étant des espèces aquatiques. Ensuite, si on l’observe attentivement, on pourra remarquer qu’il vit dans des coquilles de formes et de tailles très variées. Il pourrait s’agir de différentes espèces de Bernard… Mais si vous les observez mieux, vous pourrez remarquer qu’une même espèce peut vivre dans une coquille toute ronde, ou une grande en forme de cône, par exemple. Tentons de comprendre cet étrange phénomène.
Le bernard-l’hermite est-il un mollusque ?
Les coquilles sont synthétisées par les mollusques qui, comme leur nom l’indique, ont le corps tout mou, pour se protéger.
Les mollusques forment l’un des plus grands embranchements du règne animal, avec quelque 100 000 espèces vivantes et environ 35 000 espèces fossiles. Bref, dans cette immense famille, on peut retrouver des classes d’animaux de tailles et aux modes de vie très très variés :
- Les gastéropodes :
Par exemple, les petits escargots et limaces de votre jardin, les nudibranches ou limaces de mer (voir article sur l’Élysie), les ormeaux, les gibbules toupies, patelles (ou chapeaux chinois)…
Ces animaux rampants se caractérisent entre autres par une céphalisation plus avancée. Ils rampent sur un organe spécialisé, le pied. Les plaques calcaires de la carapace primitive se sont simplifiées au fil du temps, ce qui a conduit à ces coquillages généralement spiralés. - Les bivalves (comme leur nom l’indique, la coquille présente deux parties, deux valves) :
Comme les huîtres, les moules, les Saint-Jacques, les coques, les couteaux…
À quelques exceptions près, ils sont devenus sédentaires et ont misé sur la protection que leur apporte leur coquille, au point de ne pratiquement plus se déplacer. Leur mode de vie se rapproche de celui des anémones, voire des éponges, consistant à filtrer l’eau. Dans cette évolution, ils ont perdu leur tête, devenue inutile, et les yeux ne sont plus présents que sous forme dégénérée, chez quelques espèces. Les bivalves constituent un cas intéressant où une régression fonctionnelle (en l’occurrence, la perte du déplacement) se traduit par un succès évolutif. - Les céphalopodes, dont font partie les poulpes (voir article sur le poulpe), les seiches, les calamars, les nautiles… ont, eux, « appris » à nager, et sont devenus des prédateurs.
La capacité d’attraper des proies qui peuvent chercher à s’échapper met une contrainte évolutive forte sur ce qui caractérise ce groupe : de très bons yeux, et un cerveau très performant capable de coordonner les mouvements de chasse. Certains ont une coquille, comme le nautile ou l’argonaute. Chez d’autres, la coquille a totalement disparu, comme chez le poulpe. Tandis que chez d’autres encore, il n’en reste que des vestiges transformés ; c’est le cas de la plume du calamar, ou de l’os de seiche.
Les mollusques se retrouvent dans les milieux terrestres, marins et dulçaquicoles (en eau douce, oui, j’aurais pu le dire comme ça directement). Enfin, ils présentent d’impressionnantes variations de taille, allant de quelques millimètres pour les plus petits gastéropodes, comme l’Élysie timide (Elysia timida), à 20 m de long pour le calmar géant (Architeuthis dux).
Ou bien un crustacé ?
Mais revenons-en à notre Bernard ! Je pense que l’on s’accordera à dire qu’il a peu de points communs avec les espèces citées précédemment. Et pourtant, il se balade avec cette coquille caractéristique des gastéropodes. Fin du suspens, la raison est simple : il ne la fabrique pas, il la vole !
En effet, si l’on regarde attentivement ce petit Bernard, on se rend vite compte qu’il a plus une tête de crevette ou de crabe que d’escargot, et la raison est simple : ce sont des cousins. Le bernard-l’hermite ou pagure est en effet un crustacé, qui braque les gastéropodes !
Il s’agit même d’un crustacé décapode (« dix pieds »). Il possède donc 10 pattes : 4 pour se déplacer, 4 pour nettoyer et tenir sa coquille, et 2 pour transporter sa nourriture ou se défendre (ses pinces).
Chez les crustacés, l’extérieur rigide ou cuticule se nomme un exosquelette (squelette externe). Ce qui impose à cet embranchement une méthode de croissance particulière. Cette méthode ne consiste pas à grandir comme nous le faisons par exemple, en continu, autour de notre squelette. Eux vont croître à l’intérieur de leur squelette. Et une fois trop à l’étroit, cette cuticule se fend, l’animal sort, au départ plus gros mais tout mou, puis va durcir en quelques heures. C’est ce que l’on nomme la mue.
Le bernard-l’hermite a deux paires d’antennes. Les plus longues sont utilisées pour toucher et évaluer son environnement. Les plus courtes servent à sentir et à goûter sa nourriture.
Il appartient à la super famille des Paguroidea, dont font partie également certaines espèces de crabes, tel le crabe de cocotier (Brigus latro) qui ressemble d’ailleurs, malgré son appellation, davantage à un bernard-l’hermite qu’à un crabe. Vivant dans des îles et îlots de l’océan Pacifique et de l’océan Indien, il est connu pour sa capacité à casser des noix de coco grâce à ses fortes pinces, pour en manger le contenu. Avec ses imposantes mensurations (l’adulte pèse jusqu’à 4 kg, sa longueur allant jusqu’à 40 cm pour une envergure d’une patte à l’autre pouvant aller jusqu’à 1 m), il est capable de soulever des objets pouvant peser jusqu’à 28 kg !
Sur le plan morphologique, un bernard-l’hermite présente en effet quelques similitudes avec les crabes, à savoir ses cinq paires de pattes et ses pinces, sur chacune des deux premières pattes. En revanche, si les crabes possèdent généralement une carapace, qui protège l’ensemble de leur corps, il n’en est rien des pagures et c’est la raison pour laquelle les bernard-l’hermite et crabes sont classés dans des infra-ordres bien différents, à savoir : l’infra-ordre des Anomura pour les bernard-l’hermite, dont l’abdomen est « hors norme », tout mou, non protégé par une carapace ; et l’infra-ordre Brachyura pour les « vrais » crabes.
Bernard et son mobil-home
Pourquoi Bernard l’Hermite vole-t-il des coquilles ? Son abdomen, tout mou, le rend extrêmement vulnérable. La nature ne l’ayant donc pas gâté à ce niveau, contrairement à nombre de crustacés, il n’a d’autre solution que de voler une coquille après avoir dévoré son occupant, afin de protéger son abdomen en se glissant à l’intérieur.
Le problème est qu’au fur et à mesure qu’il grandit, il se retrouve à l’étroit et doit changer très régulièrement de coquille. C’est donc une quête quasi sans fin pour ce crustacé tout nu. Mais l’animal est parfaitement organisé sur le plan social, ce qui lui permet de parvenir à ses fins.
Se retrouver avec une coquille trop petite, oblige Bernard l’Hermite à la quitter pour en trouver une à sa taille. Mais cette période passée à découvert représente un grand danger pour lui. Les bernard-l’hermite de différents gabarits se regroupent donc et adoptent un comportement social particulièrement intéressant à observer.
Plusieurs individus se positionnent autour d’une coquille (inhabitée ou non) dont la taille correspond au plus gros d’entre eux. Celui-ci expulse si besoin le propriétaire, le mange puis prend sa place. Chacun de ses congénères sort alors de sa propre coquille, pour intégrer celle de taille supérieure, que vient de déserter un autre bernard-l’hermite, lui-même en attente d’une coquille plus grande. Lorsque tous les crustacés ont enfin trouvé chaussure à leur pied, il ne reste plus qu’une seule coquille vide : la plus petite. Ce phénomène, qui rappelle plus ou moins le jeu des chaises musicales, est nommé « la chaîne de vacances ». Grâce à ce processus parfaitement huilé, les bernard-l’hermite ne restent que quelques secondes à quelques minutes sans protection.
Quand Bernard se met au tuning…
Non content de voler cette protection à ce malheureux gastéropode, dévoré pour l’occasion, Bernard peut alors partir à la recherche d’une anémone (souvent Calliactis parasitica), qu’il va délicatement décoller de son rocher, pour la placer sur sa nouvelle coquille. Il va ainsi vivre en symbiose avec son ou ses anémones. Les tentacules urticantes de l’anémone ajoutant une protection à sa coquille, tandis qu’elle profite de son hôte pour se déplacer aisément et se nourrir des miettes laissées par Bernard.
Mais comment se reproduire sans se mettre tout nu ?
Ces animaux sont capables de tailler leur coquille et de sécréter des substances chimiques érosives, qui leur permettent d’agrandir et de lisser l’intérieur de leur maison. Une fois réaménagée, celle-ci devient donc une coquille extrêmement précieuse. Pas question, donc, de se la faire dérober par un congénère. Il ne s’agit pas d’un lieu que les bernard-l’hermite veulent quitter, même provisoirement. Mais alors, comment fait-il pour se reproduire ? Dame Nature a trouvé la parade puisqu’elle a doté certaines espèces de bernard-l’hermite de très longs pénis, ou tubes sexuels, mesurant parfois la moitié de la longueur de leur corps. Grâce à cet attribut, Monsieur Bernard peut tout à fait copuler sans quitter sa coquille.
En dehors de la période des amours, le bernard-l’hermite utilise sa pince droite, nettement plus imposante que la gauche, pour protéger l’entrée de son squat.
Le grand pagure est un des plus gros bernard-l’hermite de Méditerranée. Il mesure 10 cm. Il est surtout actif la nuit. C’est un animal détritivore, à tendance carnivore. Lorsqu’il est associé à des anémones, celles-ci peuvent récupérer les restes de ses repas.
Et pourquoi s’appelle-t-il Bernard, au fait ?
Cela remonte au XVIe siècle quand le prénom « Bernat » était si répandu qu’il était également utilisé pour désigner divers animaux, dont notre ami décapode (un peu décevant, je sais).
Le bernard-l’hermite fait partie de ces animaux que l’on peut observer assez facilement avec un masque sur notre littoral. Donc n’hésitez pas à vous joindre à nous lors d’une randonnée palmée pour en apprendre davantage sur cette incroyable diversité.
Sarah Muttoni
Guide-animatrice sentier marin au Domaine du Rayol