Le 15 juin 2020
Le Domaine du Rayol abrite un magnifique jardin terrestre, mais ça vous le savez probablement déjà.
Si vous vous laissez porter au gré des sentiers qui descendent jusqu’au bord de l’eau, vous découvrirez un incroyable jardin marin : 14 hectares de zone marine protégée s’étendent à vos pieds.
Sur la terrasse de la Maison de la Plage, vous pourrez déjà sentir, observer et profiter de cet incroyable lieu (sable blanc, eau turquoise, soleil, embruns, bruit des vagues…). Mais, si vous voulez le découvrir d’un peu plus près, une petite randonnée palmée s’impose pour profiter pleinement de ce jardin et de ses habitants.
En survolant les herbiers de posidonie, le sable ou les zones rocheuses, vous découvrirez demoiselles, labres, girelles, saupes, sars, oursins, étoiles, nudibranches…
Vous aurez peut-être aussi la chance de croiser Môssieur Epinephelus marginatus (ouh là ! En latin ? Oui, mais ça en impose quand même…) ou Mérou brun (je vous avais prévenus, c’est moins impressionnant).
Pour le reconnaître, quelques indices…
Sa forme générale est plutôt « classique » pour un poisson osseux (oui, ce n’est pas un hippocampe – et oui, les hippocampes sont aussi des poissons). Il est plus trapu que la plupart des poissons.
Sa tête est tout à fait reconnaissable, une large bouche légèrement prognathe (menton en avant) entourée de grosses lèvres un peu tombantes (on dirait qu’on lui a volé son goûter), avec de gros yeux globuleux capables de vous regarder de face (oui, la plupart des poissons vous regardent de côté) et des pupilles en forme de poire. Sa nageoire dorsale présente de grosses épines qu’il peut dresser comme une crête ou au contraire laisser le long de son dos.
Le mérou est un prédateur tout à fait adapté à son mode de vie. Il chasse des poissons, des crustacés et des céphalopodes (seiches, poulpes et calamars). Sa musculature lui permet de grosses accélérations. Ses yeux lui permettent de regarder droit devant pour prendre en chasse sa proie. Et sa grande bouche lui permet d’aspirer brusquement sa proie, qui se retrouvera piégée par de fines dents, dirigées vers l’arrière et réparties sur ses mâchoires et son palais (oui, ça glisse quand même un calamar).
Plutôt massif une fois adulte, c’est un des plus gros poissons que vous pouvez observer en Méditerranée. Il peut faire jusqu’à 1 mètre 40 pour 65 kg (pas de panique, ils sont curieux mais pas agressifs). Au bord, vous avez peu de chance de voir un individu de cette taille, mais les petits peuvent vivre à faible profondeur. Par contre, si vous souhaitez l’observer, il faudra ouvrir l’œil. Le mérou est territorial et aime se cacher dans les failles et anfractuosités de la roche.
Les adultes sont, comme leur nom l’indique, plutôt bruns, gris, avec le ventre plus clair et maculés de petites taches blanches à beiges. Les petits, eux, sont plus sombres avec des taches plutôt jaunes.
Pour nous faciliter la reconnaissance, sachez que la plupart des poissons peuvent changer de couleur. Stressé ou énervé, le mérou peut devenir très sombre (quasiment noir) ou très clair (quasiment tout blanc).
Une espèce protégée
Représentant emblématique de Méditerranée, il a bien failli disparaître dans les années 80, à cause de qui ? Nous (surprise), surexploité par la pêche en particulier.
A savoir, la Méditerranée représente moins de 1% de la surface des mers et océans du monde mais abrite plus de 10% de la biodiversité marine mondiale. D’après l’IUCN (Union Internationale pour la Conservation de la Nature), 19 % des espèces méditerranéennes sont à l’heure actuelle menacées d’extinction (voilà, voilà…).
Le statut IUCN du mérou est aujourd’hui « EN » (en danger d’extinction). Accessible, prévisible calme et curieux, le mérou était malheureusement très facile à chasser.
Dans les années 80, les juvéniles de mérous bruns se faisaient de plus en plus rares. Il n’y avait quasiment plus de reproduction car les gros individus étaient quasiment tous des femelles.
Ah oui, je ne vous avais pas dit ? Les mérous changent de sexe. Tous les bébés mérous sont des femelles. Puis vers l’âge de 10 ans, elles se transforment en mâles. Les mérous sont des hermaphrodites protogynes (si vous voulez briller en société).
10 ans ! Mais ça vit combien de temps un mérou ? Eh bien, jusqu’à 60 ans environ.
Heureusement, strictement protégé depuis 1993, ses populations ont pu de nouveau augmenter. Par exemple, recensé depuis 1963 tous les 3 ans par le Parc national de Port-Cros, le nombre d’individus s’est multiplié par 8 en 15 ans.
Au sommet des chaînes alimentaires, les mérous sont d’excellents indicateurs de la bonne santé du milieu car ils témoignent d’une présence importante de proies.
Différentes études ont même démontré que certaines espèces de mérous sont également capables de collaborer durant leurs parties de chasse avec des murènes. Le mérou va alors chercher la murène, se trémousse devant elle, puis lui indique, en se plaçant à la verticale et en secouant la tête, où est cachée la proie. Selon la direction qu’elle choisira pour fuir, elle tombera au choix dans la gueule d’un des deux.
Ah ! Une dernière chose, n’en déplaise à JOJO le mérou, le milieu marin est loin d’être un monde silencieux. De nombreuses études sont développées à l’heure actuelle pour enregistrer les sons émis par les habitants du monde marin et tenter de comprendre leur communication acoustique. Les bio-acousticiens ont découvert que le mérou en particulier était capable de grogner.
Donc, dans l’eau, ouvrez l’œil, et les oreilles !
Sarah Muttoni
Guide-animatrice sentier marin
© Photo de couverture : Domaine du Rayol, DR