Le 14 septembre 2020
En pleine saison estivale, nombreux sont ceux à s’armer de palmes, masque, tuba afin de partir à la découverte de la biodiversité marine. Castagnoles, sars ou encore étoiles de mer se trouvent facilement lors de ces expéditions sous-marines. En se rapprochant des cavités rocheuses, certains auront la chance d’observer le mérou brun (objet de notre chronique marine précédente) et pourquoi pas un poulpe tapis dans l’ombre… C’est ce dernier qui, aujourd’hui, fait l’objet de cette chronique.
Poulpe, pieuvre, quelle différence ?
Aucune ! Poulpe et pieuvre sont en réalité deux synonymes désignant des céphalopodes vivant sur les fonds. « Céphalo-quoi ?! » avez-vous peut-être pensé. Pas de panique, explication : la classe des Céphalopodes regroupe les mollusques dont les pieds (ou tentacules) se situent au niveau de la tête. Comme ces derniers se comptent au nombre de 8 chez le poulpe (ou la pieuvre), l’animal appartient à l’ordre des Octopodes.
Mais revenons à notre question initiale. A l’origine, seul le mot « poulpe » existait. Ce terme vient du grec « polypous », qui signifie « plusieurs pieds », un nom pas des plus étonnants quand on observe l’animal muni de ses 8 tentacules. Le mot « pieuvre » est introduit dans la langue française bien plus tard, en 1865, avec le succès littéraire « Les travailleurs de la mer » de Victor Hugo qui avait découvert ce terme auprès des pêcheurs de l’île anglo-normande de Guernesey.
Le poulpe commun et la pieuvre commune désignent donc une seule et même espèce : Octopus vulgaris. Comme vous le savez peut-être, les noms latins peuvent nous offrir des informations cruciales sur les espèces étudiées. Ici, « Octopus » nous apprend que le poulpe possède « huit pieds » et « vulgaris » qu’il s’agit du poulpe que l’on retrouve le plus communément. Cet animal se retrouve en effet partout dans le monde mais on l’observe en abondance en Méditerranée et en Atlantique Nord-Est de la Manche au Sénégal.
Pour l’observer, il faudra vous rapprocher des substrats rocheux, même si on le retrouve occasionnellement sur fonds sableux et pourquoi pas dans des herbiers de posidonie.
Maintenant que les présentations sont faites, passons aux choses sérieuses !
Le poulpe, ce super-héros…
Le poulpe regorge de nombreuses caractéristiques qui le rendent particulièrement fascinant. Certaines se retrouvent chez d’autres animaux, mais toutes cumulées chez le poulpe, on pourrait presque le croire super-héros !
Parmi ses incroyables pouvoirs, l’un des plus connus est sûrement sa capacité à se camoufler dans son environnement. Eh oui, le poulpe est le roi du cache-cache et ce grâce à des millions de petites cellules situées dans son épiderme. Ces cellules se divisent en 3 catégories (chromatophores, iridophores et leucophores), chacune ayant un rôle particulier. Combinées, elles permettent au poulpe de changer de couleurs, de motifs et même de texture à volonté et ainsi de se fondre dans son environnement pour échapper à ses prédateurs.
Toujours au niveau cellulaire, Super Octopus vulgaris est capable d’autotomie. Mais kézako ?! Comme le lézard, face à un prédateur, le poulpe peut volontairement sacrifier un bras pour se dégager d’un piège. Mais pas de panique, un nouveau bras totalement fonctionnel est ensuite régénéré.
Si le poulpe est chassé, c’est également un redoutable chasseur ! Ses huit bras très mobiles, préhensiles et munis de plusieurs centaines de ventouses au total lui assurent une capture parfaite de ses proies (essentiellement des crustacés, céphalopodes et bivalves) ! De plus, il est capable de sécréter une toxine paralysante : ses victimes immobilisées, il peut ensuite les mener à sa bouche où son « bec de perroquet » (seule partie dure de son corps) les broie avec fermeté.
Autre particularité, comme tous Céphalopodes qui se respectent, le poulpe commun possède une poche à encre ! Véritablement nommée « poche du noir », cet organe comporte une partie glandulaire qui produit de la mélanine (pigment noir) : mélangée au mucus, l’encre est ainsi formée et stockée dans la partie prévue à cet effet. En cas de danger, le poulpe peut alors secréter un ou plusieurs nuages d’encre pour déstabiliser le prédateur et prendre la fuite ! (A noter que la production d’encre représente une grande dépense énergétique et qu’il faut donc éviter de provoquer l’animal pour le voir cracher.)
En parlant de fuite, le quatrième super-pouvoir d’Octopus vulgaris est la « super-propulsion ». Grâce à une sorte d’entonnoir nommé « siphon » et par contraction musculaire, il peut créer un jet d’eau puissant à contre-courant et donc fuir à toute vitesse ses prédateurs.
D’un point de vue anatomique, le poulpe regorge également de bizarreries. En effet, ce drôle d’animal possède non pas un, ni deux mais trois cœurs ! Un cœur principal s’occupe de propulser le sang vers les organes. Toutefois, le sang passe par un réseau de petits faisceaux tellement fins qu’il est freiné et n’a plus assez de puissance pour revenir vers le cœur une fois les organes desservis. Deux cœurs situés dans les branchies prennent donc le relais pour relancer le sang.
Autre singularité : Octopus vulgaris possède une sorte de « super-cerveau diffus ». On lit souvent que « le poulpe possède 9 cerveaux », mais ce n’est pas tout à fait exact. En réalité, il ne possède qu’un organe équivalent à notre cerveau situé dans sa tête. Ce cerveau est en revanche capable de diffuser des informations indépendamment à huit autres structures nerveuses se situant dans les bras. Celles-ci n’interviennent pas dans la mémoire ou la prise de décision mais permettent des mouvements réflexes et perceptions sensorielles.
Le poulpe est également un animal réputé pour son intelligence. En effet, nombres d’expériences scientifiques ont mis en évidence ses capacités d’observation, d’apprentissage et de mémoire très développées. Par exemple, le poulpe est capable d’utiliser des outils, de dévisser le couvercle d’un bocal pour accéder à de la nourriture ou encore de sortir d’un labyrinthe grâce à une grande mémoire spatiale.
Camouflage, autotomie, redoutable chasseur, sécrétion d’encre, super-propulsion, trois cœurs, un super-cerveau et une grande intelligence prouvée : on ne vous avait pas menti, avec ces huit particularités remarquables, Octopus vulgaris a tout l’air d’un super-héros sous-marin.
… Pourtant vulnérable
Mais tout comme la kryptonite constitue le talon d’Achille de Superman, Octopus vulgaris ne reste pas moins menacé malgré ses super-pouvoirs.
En effet, depuis plusieurs années, les pêcheurs et scientifiques observent une baisse des effectifs des populations du poulpe commun sur les côtes françaises méditerranéennes. A l’origine de ce déclin, une pêche intensive dont l’impact atteint son paroxysme en période estivale pendant la saison de reproduction du poulpe. En effet, les femelles sont totalement investies dans la protection de leurs œufs (elles les surveillent, ventilent et nettoient en permanence pendant près de six semaines !) : elles ne se nourrissent donc plus et deviennent très vulnérables. Ainsi, en plus du prélèvement direct de ces femelles affaiblies, la pêche empêche l’éclosion de centaines de milliers d’œufs !
Face à ce constat alarmant, des arrêtés préfectoraux réglementent le prélèvement du poulpe dans les Parcs nationaux des Calanques et de Port-Cros. De ce fait, chaque année, la pêche maritime de loisir d’Octopus vulgaris est interdite du 1er juin au 30 septembre (soit du début de la ponte jusqu’à l’éclosion) au sein de ces parcs maritimes. A Port-Cros, le reste de l’année, la pêche du poulpe est limitée à 3 individus par pêcheur et par jour.
Bien qu’impressionnant du fait de ses gros yeux et ses longs tentacules, le poulpe reste un animal craintif et vulnérable, finalement bien loin de l’image du terrible kraken.
Manon Audax
Volontaire en service civique