Le 4 février 2020
Le grand Eucalyptus est mort. Elément imposant du jardin, il marquait l’esprit des visiteurs par son envergure et sa taille, plus de 35 mètres.
Mais que lui est-il arrivé ? Revenons sur son histoire…
A l’époque de sa plantation, les Courmes sont propriétaires du Domaine. Après la guerre, vers 1918-1920, Thérèse, jeune mariée d’Alfred, habite à plein temps au Rayol. Elle n’apprécie pas leur grande maison blanche (l’actuel Hôtel de la Mer, qui ne portait pas encore ce nom).
Elle demande à Alfred de lui construire une nouvelle villa, aux volumes plus « intimes »’ : ce sera la villa du Rayolet, construite à partir de 1923 et finie en 1927, toujours avec l’architecte de la famille, Guillaume Tronchet.
Pour réaliser cette nouvelle construction, Alfred décide de diviser la propriété en deux, et de vendre la grande maison blanche à la société immobilière qui est en train de créer le lotissement qui deviendra plus tard le village du Rayol.
Pour marquer la frontière entre les deux parties de la propriété divisée, les jardiniers des Courmes vont planter un grand alignement d’Eucalyptus, essentiellement des Eucalyptus globulus : notre grand arbre fut donc installé à cette époque, entre 1920 et 1923. Il devait déjà avoir quelques années lors de sa plantation.
L’Eucalyptus affaibli par deux vagues de froid
L’Eucalyptus globulus a une pousse très vigoureuse, et en 1948, sur les photos aériennes prises par l’IGN, l’alignement des arbres formant limite de propriété est bien visible.
Puis surviennent deux incidents climatiques qui vont marquer le jardin. En février 1956, une vague de froid intense s’abat sur la côte d’Azur, la température descend à -8°C pendant quelques jours : notre Eucalyptus est sensible au froid, et une grand partie de sa couronne gèle. Il semble que seul le tronc jusqu’à 6 mètres de hauteur reste vivant. Le reste disparaît.
Au printemps suivant le gel, la partie vivante repart – on dit qu’elle réitère – et les grandes branches que nous voyions dataient de ce redépart.
En janvier 1985, deuxième vague de froid intense (environ -7°C), les dégâts sont moins importants, mais l’arbre accuse le coup et s’affaiblit.
C’est lors de ces traumatismes que le champignon s’installe : l’Armillaire. L’Armillaire est un champignon lignicole, qui vit sur les racines et le collet des arbres. Ce champignon s’installe sur les arbres dépérissants, ou présentant de grosses blessures que l’arbre ne peut pas cicatriser.
Un long combat entre l’arbre et le champignon
Depuis l’époque de ces gels intenses, un long combat s’est engagé entre l’arbre et le champignon lignicole. L’arbre se défend en produisant de la gomme qui bloque le champignon. Les Eucalyptus sont aussi nommés « gommiers », de par cette capacité à produire de la gomme.
Entre le champignon qui colonise les vaisseaux conducteurs de sève, et l’eucalyptus qui cherche à freiner le champignon avec la gomme – ce qui obstrue aussi les vaisseaux – les échanges de sève entre les racines et la canopée sont freinés, empêchés.
Le moteur de la circulation de la sève brute est l’évapotranspiration : les feuilles « aspirent » l’eau des racines. Lors des grandes canicules de 2018 et 2019, l’aspiration est si intense que dans les vaisseaux en partie obstrués, le phénomène de cavitation intervient (rupture de la colonne d’eau) : à partir de ce jour, la branche concernée sèche, elle va mourir en quelques jours.
L’Eucalyptus globulus déjà affaibli en octobre 2018
Respecter les cycles de vie
Tout comme les animaux, les végétaux sont mortels : ils naissent (ou plutôt, germent), poussent, se reproduisent (ou plutôt, fleurissent et produisent des graines), puis meurent.
Au Domaine du Rayol, nous respectons ces cycles de vie : pas d’acharnement thérapeutique, aucun traitement contre les maladies, ni contre quelque forme de vie. Nous favorisons ainsi la biodiversité sous tous ses aspects.
Derrière la souche de l’Eucalyptus disparu, l’Araucaria de Bidwill, le bunya-bunya sacré des aborigènes australiens, lui aussi planté à la même époque, donc centenaire, va pouvoir prendre son essor : lui vivra plusieurs siècles…
Alain Menseau
Responsable jardin et conservation au Domaine du Rayol