Le 18 juin 2020
L’été qui arrive nous envoie des souffles d’air chaud, nous faisant oublier le printemps qui se termine. Quel étrange printemps de cette année 2020, qui a vu le jardin abandonné par ses visiteurs ! Et pourtant, les températures exceptionnelles de ces mois de mars, avril et mai, ainsi que trois gros orages, l’ont transformé en jardin tropical : des floraisons exceptionnelles, et un concert continu d’oiseaux qui ont profité de la manne abondante des insectes divers. Le jardin ne reçoit aucun traitement ni biologique, ni pesticide, et ça s’entend.
Aujourd’hui, les jardiniers préparent les paysages à la sécheresse qui s’annonce, à passer d’une exubérance verte et fleurie à une ascèse plus méditerranéenne. Suivant les orages qui viendront ou ne viendront pas, la sécheresse s’imposera courant juin ou début juillet.
Des couleurs éclatantes
Le Chili est étrange cette année : très peu de Puya berteroniana ont décidé de fleurir, même si les autres espèces (P. coerulea et P. venusta) sont en pleine débauche de couleurs. Par contre, la prairie d’alstroemères, agrandie cet hiver, est foisonnante de fleurs.
La Californie est resplendissante, avec de grosses touffes de Romneya coulteri en fin de floraison, les gros pavots blancs à cœur jaune, et des tapis de sauges bleues, mauves, qui colonisent la parcelle. Elle va bientôt basculer vers un paysage steppique.
L’Australie nous donne cette année un concert de couleurs avec toutes les Myrtaceae, et surtout les Callistemons et les Melaleucas qui prolongent leur floraison et enchantent ces paysages.
Le Fynbos d’Afrique du Sud s’enflamme avec les derniers bulbes à fleurir, les Watsonias, aux couleurs éclatantes de rouge et de violet.
En Amérique aride, les succulentes explosent de couleurs, notamment les Opuntias qui se couvrent de rouge, rose, jaune, orange dans une grande profusion. Les yuccas accompagnent ce mouvement de leurs lourdes inflorescences de clochettes blanches.
En Nouvelle-Zélande, quelques grosses touffes de Doryanthes palmeri terminent leur floraison incroyable : plantés voici 20 ans, ils ont choisi cette année pour nous offrir leur première floraison rouge écarlate, une énorme inflorescence de près de 2 mètres. Les pollinisateurs ont bien profité de cette aubaine dans un vrombissement incessant.
Dans le Verger, les terrasses sont resplendissantes comme un tableau impressionniste, une multitude pointilliste de jaunes, de violets, de rouges…
Un nouveau point de vue à découvrir
Au pied de feu l’énorme eucalyptus mort l’an dernier (voir la chronique de février 2020), les jardiniers s’activent. À partir du bois des branches, une scie mobile nous a produit de belles planches : pour évoquer les écorces de cet eucalyptus qui s’exfoliaient et que nous disposions autour de son pied en rayon, les jardiniers ont construit une plateforme rayonnante formant un belvédère qui permettra d’admirer le vieux bunya-bunya, l’Araucaria de Bidwill centenaire maintenant mis en évidence.
Mais surtout, quel bonheur de retrouver des visiteurs dans le jardin ! Un jardin sans visiteurs, c’est comme une peinture de maître enfermée dans un coffre, ou un concert donné dans une salle vide, toute cette beauté et cette poésie ne vivent que dans les sens de ceux qui viennent en profiter ! Le jardin, cette œuvre commune des jardiniers, revit maintenant que des humains reviennent…
Alain Menseau
Chef jardinier au Domaine du Rayol