Le 9 mars 2021
« Chuuut …! N’avance plus ! Regarde là-bas, dans le creux du vallon. – Mais où, quoi ? Qu’est-ce qu’il se passe ? Je ne vois rien… – Mais si, là ! Suis mon doigt, derrière les fougères, sa tête dépasse à peine !! – Ah, mais oui, ça y est, je le vois ! Qu’est ce que c’est ? Il bouge !! – Essayons de nous rapprocher pour l’observer de plus près. Sans faire de bruit. Il ne faut pas l’effrayer… – Alors !? – Mais… mais oui, c’est un jardinier !! »
La lenteur de l’hiver, ses journées douces mais courtes ponctuées de ses lumières rasantes et flamboyantes… de ses heures sans murmures.
L’arrivée de l’hiver souffle le sentiment qu’il est nécessaire de ralentir la cadence pour être en rythme avec celle donnée par la nature. Nous marcherons bientôt sur la pointe des pieds. Errer à pas feutrés dans un jardin qui s’est vidé.
Le soleil tarde à se lever, repoussant avec lui l’heure du réveil des quelques oiseaux ayant fait le choix de ne pas migrer plus au sud. Dans la pénombre, les yeux encore mi-clos, les jardiniers se retrouvent, les mains jointes autour de leur tasse fumante de café chaud. La nuit fut claire et étoilée, de celles qui prédisent des matinées délicatement givrées. Grelotant dans le froid cinglant de ce début de journée, tous les habitants du jardin chuchotent pour ne pas rompre la quiétude de cet instant presque figé. Le ciel est dégagé, la ligne de crête, au loin, commence très lentement à s’illuminer. La faune n’est pas la seule à avoir du mal à ouvrir les yeux ce matin. Les jardiniers, tout juste réchauffés, finissent par se disperser dans le jardin dans un silence quasi monacal.
Affairés à leurs tâches quotidiennes, les travailleurs se nourrissent des quelques rayons d’un soleil rasant filtré par le feuillage des seuls individus restants.
Merles, fauvettes, rouges-gorges, geais, tous en prévision du printemps se réapproprient leur territoire et le façonnent en vue d’y accueillir prochainement compagne et nichées. Les sécateurs de l’ombre, derniers occupants du jardin, continuent, eux aussi, suivant le même exemple, d’entretenir et façonner inlassablement « leur » territoire en prévision d’y accueillir, le moment venu, visiteurs passionnés et déconfinés.
En attendant… Bercés par le son lent et monotone d’un ressac mince et régulier, les jardiniers profitent de la plénitude de ce calme absolu. Lente et savoureuse solitude dans les heures qui passent et s’éternisent.
Cette journée si courte parue finalement si longue. Ce n’était qu’un songe peut-être… Un intermède… Un suspend, brouillé par des volutes lentes et apaisantes de nuages aux couleurs rougeoyantes et de vents froids chargés d’embruns.
Un temps laissé aux jardiniers pour s’ensauvager…
Demain, le soleil se lèvera plus tôt, et avec lui abeilles, oiseaux et visiteurs arpenteront à nouveau le jardin dans un brouhaha de vie. Le printemps est là.
Jardiniers ! Ne soyez pas effrayés, la vie ne fait que reprendre son cours…
Charles Guerlain
Jardinier au Domaine du Rayol