Humeur de jardinier : le vol du bourdon

Humeur de jardinier : le vol du bourdon

Le 16 mai 2019

Le vol du bourdon… Son rythme effréné, ininterrompu, montée, descente, enchaînement rapide tout au long de cette partition de Korsakov.

Observons maintenant un véritable bourdon dans sa frénésie, sa boulimie, son avidité, sa soif de curiosité à aller explorer toutes ces fleurs plus colorées les unes que les autres et nouvellement sorties. C’est un réveil en fanfare ! Pas de temps à perdre, il doit se mettre au travail !

Imaginons à présent ce même bourdon propulsé au beau milieu d’une zone urbaine, et qu’à son tour, il se pose quelques instants afin de nous observer… Il verrait certainement des humains courant de droite à gauche, montant et descendant des escaliers frénétiquement, allant d’un point A à un point B tout au long de la journée et ce, dans le même but que le sien à l’arrivée : pouvoir manger.

Nos vies sont finalement très proches. Mais à la différence du bourdon, notre frénésie ne s’est pas arrêtée à la simple condition de pouvoir se nourrir. Nous souhaitons, aujourd’hui, pouvoir consommer. C’est cette simple nuance qui nous dissocie. Bien que l’homme soit un être social, comme l’est également le bourdon. L’homme exploite sans rendre ; le bourdon exploite, mais pérennise.

Rapidité, productivité, rentabilité… Autant de termes qui pourraient donc nous servir à décrire le modèle de société dans lequel nous évoluons de nos jours, de façon consciente ou inconsciente.

Les jardins, la nature de manière plus globale, par le biais des cycles végétatifs, nous impose de déconstruire nos prérequis, de laisser de côté notre empressement pour laisser place au contemplatif. Le jardin nous force à réapprendre à observer.

Un bref instant…
A l’échelle d’une année, la période que nous sommes en train de traverser est un souffle, une petite brise légère, passagère, douce et agréable. Si durant l’hiver, ce sont les lumières que nous offre le ciel qui nous éblouissent, en ce moment, c’est le bal des annuelles qui colore nos journées.
Alors quoi faire, à part laisser la nature parader, nous faire une démonstration de force… Le culot dont elle peut faire preuve dans ses associations de couleurs, la variété et l’originalité exceptionnelle de ses fleurs, son jeu de hauteur et de densité. Il est déconcertant de se dire qu’aucun paysagiste ne réussira, quel que soit l’acharnement de son travail, à faire ce que la nature offre naturellement.

Fleurs sauvages

Etre contemplatif ne veut pas pour autant dire être oisif. Un jardinier doit essayer d’anticiper les besoins de son jardin. L’année dernière à la même époque, la pluie ne cessait de tomber. Cette année, il semblerait que la sécheresse tente de reprendre ses droits, aidée par des vents secs et réguliers. C’est le bon moment pour commencer à réhabiliter les cuvettes qui ont certainement dû être abîmées durant l’hiver. Et en profiter pour faire un léger désherbage sélectif, afin d’éviter une trop forte concurrence racinaire de la part de quelques graminées opportunistes ayant profité d’une fosse de plantation pour élire domicile.

A l’image du bourbon, notre façon de jardiner doit se faire dans une conception de complémentarité. Il ne s’agit pas de contraindre et forcer, mais de rendre et d’aider, au regard de ce que la nature nous offre.

En attendant, prenons notre temps. Ce moment est éphémère, il ne dure qu’un court instant. Il faut en profiter. Bientôt, ce sera l’été !

Charles Guerlain
Jardinier au Domaine du Rayol