Le 4 février 2020
Lundi 13 janvier 2020
Il est 8h du matin, toute l’équipe se met en place. C’est une journée particulière qui s’apprête à commencer. C’est l’effervescence, tout le monde s’agite afin d’être prêt le plus rapidement possible.
Ne pas perdre de temps… Cela pourrait sembler quelque peu paradoxal lorsque l’on sait que la mission du jour consiste en l’enlèvement de l’un des doyens du jardin : le grand Eucalyptus.
Cent ans que cet Eucalyptus globulus impose à tous les visiteurs passant à son pied un sentiment de respect, de fascination mais surtout d’humilité.
À l’échelle du grand paysage, intégré dans ce maquis méditerranéen à la végétation plutôt basse, devant se prémunir contre la chaleur et les longs mois sans eaux, cet Eucalyptus fait office de roi de la jungle ! 35 mètres de haut… Visible de partout. Dominant fièrement la baie du Rayol.
Des charpentières que l’on pourrait supposer être chacune un propre individu tant leur taille est imposante. Un entrelacs de branches incalculables créant un maillage de milliers d’intersections, de jonctions, de ramifications.
C’est un sentiment d’incompréhension qui nous saisit les jours de vent fort. Comment un tel édifice, si volumineux, au bois si dense et lourd, peut accepter de telles torsions…
C’est un sentiment d’émerveillement les jours de grand soleil. Ce feuillage clairsemé, en forme de virgules, évitant ainsi sur lui l’impact trop violent des rayons du soleil, filtre la lumière et une chaleur douce et agréable aux effluves délicates d’eucalyptol.
Il est 8h du matin, chacun semble être à son poste.
Le brouhaha intense du broyeur de branches, des tronçonneuses, de la grue… On se croirait presque dans une bulle dans laquelle notre ouïe ne serait pas fonctionnelle. Tout est tellement bruyant que nous n’entendons plus rien. Nous sommes obligés d’être très attentifs aux autres et à ce qui se passe.
Mais cela donne la sensation d’une mission qui aurait été maintes et maintes fois répétée, d’une chorégraphie que l’on aurait travaillé depuis des années pour s’assurer que le jour du rendu final, il n’y ait pas de surprise. Tout se passe finalement dans une sorte de calme, de fluidité, de légèreté. Cette grue qui pourtant rivalise, au niveau de son envergure, avec le grand Eucalyptus, fait des mouvement tellement lents, doux, souples, que le transport des troncs massifs dans les airs devient majestueux.
Les chaînes qui étranglent, les tronçonneuses qui découpent, les broyeurs qui hachent… Toutes ces tâches d’une extrême violence mais desquelles émane pourtant ce jour-là une grande délicatesse.
Si nous réussissions à remplacer le bruit des tronçonneuses par celui d’une partition de Tchaïkovsky, nous pourrions nous imaginer en train de regarder un ballet !
Cela donne à cette scène finale un côté solennel, de procession, qui convient parfaitement à la situation. C’est un dernier hommage. La fin d’un cycle. Il est temps de laisser sa place…
La relève est assurée, le rideau peut se baisser.
Charles Guerlain
Jardinier au Domaine du Rayol
La journée en images :
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