La plante du mois : Acanthus mollis

La plante du mois : Acanthus mollis

Le 24 juin 2019

Chaleurs, vents, grisailles… Malgré ce méli-mélo météorologique, l’été est imminent. La nature, dansant au rythme des saisons, ralentit la cadence pour la majeure partie des plantes. Il est temps de se reposer, d’économiser son énergie dans l’attente des prochaines pluies. Jaunissement, dessèchement, flétrissement puis chute des feuilles… Le jardin lui aussi se prépare aux longues et chaudes journées estivales.
Mais alors que beaucoup sont d’ores et déjà prêtes pour cette dure saison, il en est une qui semble en retard. Pourtant, il n’y a là aucune erreur, car c’est ainsi que vit et grandit Acanthus mollis, la dernière à défier le soleil…


Une phrase, un murmure, une légende…

AcantheAcanthe, un mot qui résonne sur plusieurs plans.
D’un point de vue botanique, cette base se retrouve dans une grande famille de plantes à fleurs, les Acanthacées. Elle regroupe quelques 4 000 espèces différentes, réparties en 250 genres, parmi lesquels le genre Barleria, présenté il y a quelques mois de cela. Mais aujourd’hui, portons notre attention sur un autre genre, qui n’est nul autre que le genre « Acanthus », au sein duquel sont référencées environ 30 espèces.
Le terme « Acanthus » serait dérivé du grec « akantha », signifiant « épine ». Plante très présente dans le folklore grec, car Akantha est le nom d’une nymphe désirée par le dieu du Soleil, Apollon. Il tente de l’enlever, mais en se défendant, celle-ci le griffe au visage. Alors, pour se venger, Apollon la transforme en une plante, épineuse, poussant au soleil…
L’acanthe est également très présente au sein de l’architecture, ornant les chapiteaux corinthiens des colonnes. Là encore, c’est une légende qui expliquerait son incorporation à l’ordre corinthien. Il est dit que le sculpteur grec Callimaque aurait découvert, sur la tombe de pierre d’un enfant, une acanthe dont les feuilles étaient enroulées autour d’un panier d’offrandes funéraires. Ce souvenir l’aurait inspiré dans la disposition des feuilles d’acanthe sur les chapiteaux corinthiens.
Vous l’aurez donc compris, l’acanthe est une plante qui, de par son nom et son aspect, jouit d’une certaine renommée.


Fragile mais habile, un savant mélange…

Acanthus mollis, alias l’Acanthe à feuilles molles… L’association des termes « épine » et « molle » peut sembler étrange, car si bon nombre de ses cousines possèdent bel et bien un feuillage épineux, il n’en est rien pour notre plante du mois.
Au contraire, ses feuilles sont étonnamment… molles. Ici, pas de tiges ou de rameaux. Chaque feuille semble émerger du sol, formant ainsi une véritable touffe, dont la taille et la couleur vert foncé sont d’autant plus importantes que la plante pousse à l’ombre des arbres. Elle constitue ainsi un magnifique élément de sous-bois, jusqu’à prendre des allures de plante tropicale exotique, dépassant un mètre d’envergure.
Acanthes     Acanthes en fleur
Mais ne vous y trompez pas : malgré sa réputation d’espèce envahissante, elle n’est en rien une étrangère. Si l’acanthe à feuilles molles se plaît si bien chez nous, c’est parce qu’elle est ici chez elle ! Ainsi, sur le pourtour méditerranéen, en Afrique comme en Europe, notre Acanthe vit et prospère naturellement. Car ne l’oublions pas : les nymphes se rencontrent souvent près des points d’eau et des bassins ! Mais sa beauté ne se résume pas à son simple feuillage, car ses fleurs sont un spectacle de couleur et d’ingéniosité.
Imaginez une longue tige pouvant s’élever à deux mètres du sol, portant de nombreuses fleurs de couleur blanche, enveloppées dans des bractées vertes virant progressivement au mauve. Outre l’agencement de couleurs, l’organisation de la fleur est très impressionnante. Et pour l’observer de plus près, il suffit de soulever la bractée mauve recouvrant la fleur, un peu comme on soulève le capot d’une voiture pour en admirer le moteur.
Sous ce « capot », quatre tiges rigides partent de la base de la fleur et se terminent par une sorte de « brosse ». Il s’agit des sacs de pollen, recouverts de petits poils (d’où cet aspect en brosse). Les courbures des quatre tiges sont telles que les sacs de pollens se touchent presque les uns les autres, à la manière d’une pince à quatre doigts. Mais comment fonctionne une telle « machinerie » ? Pour le comprendre, refermez le capot et imaginez vous être une abeille charpentière (Xylocopa violacea)…
Vous vous trouvez devant des fleurs assez particulières : elle ne sont pas pleinement ouvertes, une zone blanche assez large se présente à vous, comme pour vous inviter à vous poser. Mais pour atteindre le nectar, il vous faut vous glisser sous une sorte de couvercle mauve, et se frotter à quatre petits balais. Ce faisant, en rentrant et sortant, les petits sacs déversent sur votre corps le fameux pollen, vous colorant de jaune ! Et à la fleur suivante, une partie de ce pollen sera récupéré par les petits balais, tandis que d’autres grains tomberont une fois encore sur votre dos !
Autant vous dire qu’il ne faut pas avoir peur de se salir pour trouver le nectar des acanthes ! Et là encore, preuve en est que chaque plante dispose d’au moins un pollinisateur « sur mesure ».

Acanthus mollis Acanthus mollis Acanthus mollis


Et lorsque viendront les jours funestes…

On a du mal à croire qu’une telle plante puisse survivre à l’été méditerranéen : de grandes feuilles vert foncé, sans aucune protection, attirant trop de lumière. Autant dire une exposition qui peut aggraver la perte d’eau ! Sans compter les fleurs, sorties si tard à l’approche de l’été… Tout cela va sécher !
Eh bien oui, précisément.
Les feuilles, pour leur part, se sont déjà affaissées depuis plus d’un mois, jaunies par la perte de leur chlorophylle. Encore quelques semaines, et ces feuilles, autrefois si grandes et belles, ne seront plus qu’un amas de feuilles mortes jonchant le sol. Et c’est là tout l’intérêt.
Souvenez-vous que l’acanthe à feuilles molles ne possède pas de tige, et que seules ses feuilles ainsi que sa hampe florale émergent du sol. Ses organes vitaux se trouvent sous terre. On parle d’une espèce géophyte. De ce fait, durant l’été, la plante se trouve enterrée dans le sol, qui lui-même est recouvert d’une couche de grandes feuilles séchées, fournissant à l’acanthe une double protection face à la sécheresse.
Mais qu’en est-il des fleurs ? Là encore, la nature fait bien les choses.
En été, tout ce qu’il reste de l’acanthe à feuilles molles se résume à un tas de feuilles séchées duquel s’élève une longue tige jaunâtre. Les fleurs, une fois pollinisées, vont former un fruit enflé de couleur verte, contenant une graine.
En été, la chaleur est telle que la tige, les bractées et le fruit se dessèchent rapidement, et cette déshydratation fait perdre de la souplesse aux tissus protecteurs. Au fil du temps, le fruit se durcit, se rabougrit, se craquelle et fait pression sur la graine, à un point tel que celle-ci finit par être expulsée dans un petit bruit sec. Résultat : la graine est envoyée sur plusieurs mètres, garantissant ainsi une dispersion des nouvelles générations. Autant vous dire que ces hampes florales deviennent de véritables tourelles de dissémination au plus chaud de l’été !

Acanthus mollisForce est de constater que l’acanthe à feuilles molles est elle aussi très bien adaptée au climat méditerranéen. Et bien plus qu’une simple période sèche, l’été permet à la nouvelle génération de germer. Voyons cela comme un présent d’Apollon envers celle qui jusqu’à ses derniers jours, brandit vers lui quelques griffes, comme pour lui rappeler ce jour où il voulut la ravir à la terre…

Lenny Basso
Jardinier et guide-animateur au Domaine du Rayol