Le 20 décembre 2019
Le temps s’est rafraîchi, les premières neiges habillent déjà certains paysages. Chaque être vivant y est préparé à sa manière. Certains migrent vers des pays plus chauds tandis que les plus casaniers se trouvent un abri pour entamer leur longue sieste hivernale. A défaut de pouvoir se déplacer, nos amis à feuilles et racines se préparent également : bon nombre d’arbres ont perdu leurs feuilles en automne et ralentissent leur métabolisme. La nature en hiver se fait somnolente, certains arbres semblent même prêts à s’endormir, emmitouflés dans une couverture de lierre verdoyant. Curieux, d’ailleurs, que ce lierre garde ses couleurs en hiver, comme les conifères… Il faut dire que c’est un particulier celui-là, avec tout ce qui se dit à son sujet… Et si nous profitions de la chaleur et du confort de nos maisons pour discuter de cette plante ? Car il y a beaucoup à raconter sur cette plante grimpante…
Mettons donc de côté les classiques contes d’hiver pour parler de celui qui garde son manteau vert : le lierre, Hedera helix.
Le lierre et ses liens
En cette période où les familles se réunissent pour festoyer ensemble, parlons de celle du lierre, les Araliacées. Le nom est issu d’un des premiers membres de cette famille à avoir été décrit puis identifié : le genre Aralia. Chez les plantes de cette famille, les fleurs sont généralement disposées en ombelles, avec des couleurs qui varient entre le verdâtre et le blanc. De petites drupes ou baies se forment une fois les fleurs pollinisiées.
On dénombre pas moins de 1 400 espèces sous différentes formes, de la petite herbe jusqu’à l’arbre, en passant par la plante grimpante. Parmi les nombreux cousins, figure le fameux ginseng (Panax ginseng) dont les propriétés curatives lui ont valu sa popularité dans la médecine asiatique. Mais l’aire de répartition des Araliacées s’étend au-delà de l’Asie, car on peut trouver le genre Pseudopanax en Nouvelle-Zélande, les Polyscias en Australie, les Cheirodendron en Polynésie, les Cussonia en Afrique du Sud et les Oplopanax en Amérique du Nord.
Et au milieu de tout cela, en Europe, se trouve le genre Hedera, comptant une dizaine d’espèces parmi lesquelles se trouve notre lierre. Autant dire qu’il n’est pas facile de rassembler tout le monde pour les fêtes ! D’ailleurs en France, notre lierre est le seul représentant des Araliacées. Triste ironie pour une plante si attachante et attachée…
D’ailleurs, son nom scientifique lui-même traduit sa capacité à s’accrocher. Hedera signifierait « être attaché » (pensez à « adhérer ») et helix fait référence à une spirale, que formerait le lierre au fil de sa croissance.
Il était une fois…
Ce lierre, les gens en parlent depuis très longtemps. Il faut dire que sa tendance à grimper sur les arbres ou les murs et à ne plus s’en détacher ne font pas de lui une plante très discrète. Et il s’accroche bien le bougre, comme s’il ne voulait plus se séparer de son support.
Certains s’en émerveillent, admirant la force et la ténacité de cette plante. D’ailleurs, le lierre symbolisait l’amour, l’amitié et la fidélité, car là où grimpe le lierre, seule la mort peut le faire tomber. Une très belle application de l’adage « jusqu’à ce que la mort nous sépare ». A ce propos, en Grèce antique, les couronnes nuptiales des jeunes mariés étaient faites de lierre, symbole d’une longue relation que rien ne peut briser.
Dionysos, le dieu de la vigne, portait également une couronne de lierre, ce qui le protégeait de l’ivresse du vin. De même, un lierre grimpant sur le mur d’une maison protégeait ses occupants du mauvais sort, et dans les étables, on racontait qu’il empêchait le lait de tourner. Bien plus qu’une décoration, le lierre était alors une plante gardienne que la médecine recommandait contre de nombreux maux.
Cependant, tous ne voyaient pas cette plante d’un bon œil. La densité de son feuillage et la mort de certains arbres sur lesquels poussaient des lierres ne lui ont pas toujours fait honneur. Face à ces observations, certains, comme Théophraste et Pline l’Ancien, en ont déduit que le lierre était « nocif pour les arbres et les plantes » en ajoutant qu’il « réussit à s’insinuer dans les tombes et les murs ». Une remarque plutôt banale, direz-vous…
Et pourtant ! Aujourd’hui encore, une grande majorité perçoit le lierre comme une plante envahissante, parasite, négative ! Car les paroles des anciens ont énormément d’échos, et le lierre aujourd’hui, demeure une plante très (mal) connue. Il est donc grand temps de rendre justice à ce délaissé !
La lumière sur le lierre
Première chose : le lierre n’a rien d’un parasite. Un parasite, par définition, dépend d’un autre être vivant. En ce cas, comment un lierre grimpant sur un mur parvient-il à vivre ? En réalité, le lierre a tout ce qu’il faut pour être autonome : racines pour puiser l’eau et les nutriments dans la terre, feuilles pour capter la lumière du soleil, fleurs pour attirer les pollinisateurs, fruits pour disséminer les graines, et tiges pour porter le tout ! Une plante parasite, de ce fait, manque d’un élément comme les racines ou les feuilles. Pensez au gui qui n’a pas de racine et absorbe la sève brute de l’arbre via de petits suçoirs !
« Objection ! » diront certains, car le lierre possède également des racines qui s’immiscent dans l’arbre ! « Rejetée ! » réplique la défense. Car effectivement, le lierre génère des racines, mais ce ne sont là que des fixations, que l’on appelle des crampons. Ces derniers poussent préférentiellement entre la tige et le support, à l’abri du soleil. Sur ces crampons poussent des milliers de poils microscopiques, dont l’extrémité est recouverte de petites ampoules, remplies d’une sorte de glue. Dès que les poils entrent en contact avec le support, ces ampoules « explosent », libèrent la glue et « soudent » les poils au support. Mais ce n’est pas tout ! Avec le temps, les petits poils se dessèchent et s’enroulent en spirale, ce qui rapproche et maintient encore davantage la tige du lierre ! Plus le support présente de petites anfractuosités, plus les prises sont nombreuses et efficaces pour la plante. Donc si le lierre s’accroche tant, ce n’est pas pour étouffer ou dévorer, mais juste pour ne pas tomber !
Deuxième chose : le lierre ne grimpe pas toute sa vie. Comme la majeure partie des plantes, tout commence dans le sol. Imaginez-vous : dans une forêt de chênes, au niveau de la litière, se trouve une graine. En germant, elle donne naissance à un petit lierre. Ce dernier, pour bien grandir, a besoin de lumière. Mais dans un premier temps, il va pousser… vers l’ombre ! L’objectif est simple : trouver un arbre. Et pour ce faire, il faut trouver la zone la plus ombragée et fraîche d’un arbre : son pied. Dans un premier temps, le lierre est donc rampant, à la recherche d’un support vertical. Une fois qu’il y parvient, petit lierre commence alors son ascension du tronc, au moyen de ses « crampons à poils collants ». Mais n’allez pas imaginer que cela se fait en deux temps trois mouvements ! Chaque année, petit lierre prend entre 30 et 40 cm par an, s’élevant en direction du soleil. A partir de cet instant, le lierre restera fermement accroché à son support, ses crampons constituant autant d’attaches qui l’empêchent de tomber ou de se briser sous son propre poids. Car le tronc d’un lierre ne dépasse pas 20 cm, même chez un très vieux sujet !
Troisième chose : le lierre n’est pas un tueur d’arbres. Comme dit précédemment, un arbre n’est pas une proie pour le lierre, mais un support. Il y a donc tout intérêt à ce que le support soit de bonne qualité ! C’est pour cela qu’un mur ou un poteau bien ancré dans le sol peut autant faire l’affaire qu’un beau chêne de 80 ans en bonne santé. Car un arbre de taille modeste, mourant ou malade, risque fortement de chuter. Le lierre « perché » est inévitablement entraîné dans la chute et se retrouve de nouveau au sol, comme à ses premiers jours : il faut alors repartir de zéro, ramper à nouveau, à la recherche de l’ombre d’un arbre, d’un mur, d’un pylône… Cependant, il y a des exceptions, car de très vieux arbres, morts sur pied et bien fixés demeurent viables pour un lierre. Preuve qu’une fois de plus, le lierre n’est pas un parasite, car il ne pourrait alors plus se nourrir si son hôte venait à mourir.
Au vu des preuves apportées, voici le verdict : le lierre est déclaré innocent. Sa seule faute est de pousser, grandir et s’accrocher à la vue de tous, et notamment de ceux qui le trouvent trop encombrant. « Envahissant », « Bourreau des arbres », « Etrangleur »… Autant de noms qui noircissent l’image de cette magnifique plante nourrissant oiseaux et insectes de ses fleurs et ses fruits. Alors s’il vous plaît, à l’approche de Noël, ayez une pensée pour le lierre, loin de sa famille, subissant la rudesse de l’hiver auprès d’un mur, d’un lampadaire, ou d’un vieil arbre au grand cœur…
Lenny Basso
Jardinier et guide-animateur au Domaine du Rayol