Le 23 novembre 2021
Et si nous prolongions un peu l’arrière-saison, malgré l’automne qui défile à grands pas ?
La plante dont nous allons parler fait partie de la grande famille des Astéracées. Vous les connaissez bien : les marguerites, les chardons et les pâquerettes en font partie. On retrouve des fleurs composées regroupées en capitules. Cette famille est composée de 1 765 genres et plus de 25 000 espèces de plantes.
L’aunée visqueuse ou Dittrichia viscosa est aussi appelée Inula viscosa, plus mnémotechnique…
Ce genre fait référence au botaniste Manfred Dittrich qui s’est spécialisé dans les Astéracées. Son deuxième nom, Inula, évoque plutôt les propriétés médicinales que les espèces de ce genre possèdent.
Une plante du pourtour méditerranéen
Ce mois-ci, nous restons dans le bassin méditerranéen. Cette plante est native et familière de nos paysages, mais finalement peu connue. L’aunée visqueuse est très présente en Corse, en Espagne, en Italie ainsi qu’en Grèce, en Bulgarie et en Turquie, jusqu’au Moyen-Orient.
Au Jardin des Méditerranées, ce sont des semis spontanés qui voient le jour. Les aunées poussent au milieu des friches, des champs abandonnés, des bords des chemins, des haies et dans les rocailles.
Elle est thermophile et héliophile (elle aime la chaleur et la lumière).
En novembre, vous avez plus de chances de voir les pappus qui surmontent les graines et qui se dispersent avec le vent. Ces petits parachutes de soie, similaires aux sphères fragiles des pissenlits, voyagent…
Mais l’intérêt de l’aunée visqueuse ne s’arrête pas aux fleurs !
Ces petits arbustes en touffes sont apparus à la fin de l’été, avec, au bout de leurs tiges, d’abondantes petites fleurs jaunes. Avec l’âge, les tiges deviennent ligneuses à leur base. La floraison dure jusqu’à octobre-novembre. Durant l’hiver, l’inule perd une bonne partie de ses feuilles. Puis, au début du printemps, elle refait son apparition sur des tiges persistantes. Enfin son cycle arrive à son terme et ses fruits, des akènes velus, sont libérés.
Ainsi va la vie de l’inule visqueuse.
Vous l’aurez compris, comme nous, l’inule profite de l’arrière-saison : un soleil encore présent, une belle lumière, qui apporte un reste de chaleur et des températures plus clémentes.
Attention, elle a plus d’un tour dans son sac, ou, devrais-je, dire dans ses fruits !
Elle est tellement adaptée aux sols secs que ses graines possèdent une enveloppe dite villeuse qui est composée de poils fins mucilagineux1, qui apportent un grand potentiel d’absorption d’eau. Grâce à cette couche poilue, la germination peut se faire même dans un sol sec, en gardant de l’eau !
De plus, Dittrichia viscosa tolère les sols chargés en métaux lourds, et elle est même capable de les fixer et de limiter leur lessivage dans le sol lors des pluies. Ainsi, les milieux plus ou moins dégradés par nos activités humaines, elle connaît, même pas peur !
L’utilisation de plantes et de leurs interactions pour dépolluer les sols s’appelle la phytoremédiation.
De par ces caractéristiques, elle a eu tendance à coloniser d’autres lieux : les Açores, la Belgique, la Grande-Bretagne. Elle a été introduite en Australie où aujourd’hui elle est invasive dans le sud-ouest du pays. On la retrouve également aux Etats-Unis et dans l’hémisphère sud. Ponctuellement, on la retrouverait dans des milieux plus humides en hiver.
Ses capacités d’adaptation lui permettent de pousser en abondance et ainsi de participer activement à la dynamique des écosystèmes méditerranéens.
Un arsenal chimique pour se défendre
Sur les feuilles fraîches, la plante colle et possède une odeur plus ou moins marquée. L’inule est couverte de poils glanduleux qui libèrent une résine odorante et collante. Ces poils sont des trichomes.
Les trichomes
Mmm… Trichome, voilà un mot bien mystérieux pour désigner des excroissances épidermiques duveteuses ou, plus simplement, des poils (absorbants, crochus et/ou glanduleux). Oui, le vocabulaire scientifique aime se targuer d’être précis. Si l’on se réfère à son étymologie grecque, trikhoma signifie « croissance de poils ». On les retrouve en surface et en densité variables sur différentes parties d’une plante.
Leur rôle principal ?
Protéger la plante des attaques extérieures des insectes et autres herbivores, mais aussi du vent et du dessèchement. Les poils réduisent l’évaporation en limitant les flux d’air susceptibles d’assécher la surface des plantes. Ce revêtement permet aussi de réfléchir les rayons du soleil et de protéger les tissus les plus sensibles dans les milieux secs et chauds. Leurs propriétés absorbantes leur servent aussi à récupérer l’eau lors des précipitations.
Les glandes des trichomes contiennent parfois des concentrations importantes de molécules de défense et de molécules essentielles. Aussi, certaines feuilles composées de trichomes sont irritantes… Ces sécrétions peuvent tuer des insectes. En effet, les substances chimiques produites pourront être attractives ou répulsives (de par l’odeur ou le goût). Leur aspect rigide peut causer de l’irritabilité dans le palais des animaux et herbivores et ainsi limiter leur alimentation. Ils peuvent avoir un rôle dans les stratégies de détoxification. Et le contact avec la peau peut parfois créer des réactions allergiques dermatologiques locales.
Du fait de ces caractéristiques, l’inule est donc dénigrée par le bétail et autres herbivores. A l’automne, au Jardin des Méditerranées, après le passage des ânes, qui la boudent, il ne reste quasiment plus qu’elle sur l’ancien verger.
Une mellifère d’arrière-saison
Dès la fin de l’été, l’inule dévoile ses petites fleurs jaunes pleines de nectar et du pollen en abondance. A la fin de l’automne, les fleurs mellifères se font plus rares. C’est l’occasion pour les retardataires de constituer leurs réserves en prévision de l’hiver, période de repos pour certaines plantes.
Un autre intérêt, et non des moindres, à la présence de ces nombreux poils, est le piégeage et la conservation de pollens venant de plantes variées : de l’inule mais aussi des plantes alentour ayant des floraisons plus précoces. Ainsi, même si les autres plantes ont fini leur floraison, leur pollen est collé sur l’inule et pourra servir aux insectes.
Le pollen est une source de protéines et une ressource indispensable pour le développement de certains pollinisateurs. L’inule, comme le lierre, donne une floraison plutôt longue et une importante quantité de fleurs. Même si leur pollen n’est pas de la meilleure qualité, elle le produit en abondante quantité. Cette source est utilisée comme nourriture complémentaire ou de substitution par des hyménoptères parasitoïdes ou autres pollinisateurs.
En revanche, le miel pur fabriqué à partir de son nectar n’est pas beaucoup produit par les apiculteurs car il a une cristallisation irrégulière. Il a une teneur en eau plus forte que d’autres miels et cet aspect pose problème dans sa conservation. C’est un miel moins stable en raison d’une teneur en hydroxyméthylfurfural (ou HMF, pour simplifier) plus élevée.
Oups ! Ce terme complexe est un indicateur du vieillissement du miel. Il désigne un composé issu de la déshydratation de sucre comme le fructose. Il est présent à l’état de trace dans les miels et il augmente avec la température et la durée de conservation.
Un retour de son intérêt en agriculture
La plante est un véritable hôtel à insectes. Elle sert d’abri et de nourriture à un panel d’insectes piqueurs-suceurs comme les pucerons ou les aleurodes, aussi appelées mouches blanches. Mais aussi à leurs prédateurs comme les coccinelles !
En effet, ces premières catégories d’insectes qu’elle abrite vont servir de proies et d’hôtes à des insectes prédateurs auxiliaires et des insectes parasitoïdes, qui peuvent être bénéfiques aux cultures adjacentes. Elle sert de plante relai, dans les oliveraies et les cultures maraîchères et ornementales sous serre.
Considérée comme envahissante, l’inule visqueuse a été enlevée comme mauvaise herbe. Aujourd’hui, elle est « réintroduite », ou plutôt laissée afin de lui permettre de jouer son rôle de régulateur de certaines populations d’insectes parasitoïdes. Ainsi, dans ces cultures, sa reproduction spontanée est facilitée afin de retrouver des parasites indigènes.
Pourquoi ce regain d’intérêt dans les oliveraies ?
Tout d’abord un petit résumé de l’insecte qui impacte les oliveraies.
La mouche de l’olive
Dans les cultures d’oliviers, une petite mouche fait sa loi. Il s’agit de la mouche de l’olivier ou Bactroceaolea.
Les femelles, une fois fécondées, conservent la semence des mâles et peuvent pondre durant des mois, comme la reine des abeilles ou des fourmis. Elles ne pondent qu’un œuf par olive mais peuvent en pondre jusqu’à 500 en quelques jours.
C’est au cours de l’été, lorsque les olives font déjà presque 1 cm que les premières pontes démarrent. L’œuf est déposé sous la peau de l’olive et la larve se développe au chaud dans ce garde-manger qu’est la pulpe de l’olive. Elle creuse une galerie pour pouvoir sortir et pour préparer sa transformation de larve en nymphe qui va durer 10 jours.
Enfin, l’adulte sort du fruit et en quelques jours, il est prêt à refaire une génération. De juin à novembre, il peut y avoir trois à cinq générations en fonction des conditions climatiques. Le reste de l’année, les mouches sont au stade de pupe cachée sous quelques centimètres sous le sol.
Le développement des larves entraîne la chute prématurée des fruits et altère la qualité de l’huile d’olive.
Quel est le mécanisme en jeu ?
L’inule accueille un premier insecte, une mouche, Myopites stylata. Celle-ci pond ses œufs dans les fleurs qui forment des galles qui se lignifient. La plante forme donc des excroissances autour du parasite dans lesquelles les petites mouches se développent. La larve de cette mouche est la proie d’une petite guêpe parasitoïde, Eupelmus urozonus. Cette dernière est aussi un prédateur naturel qui parasite la mouche de l’olivier. La guêpe est active du début de l’été à l’automne sur la mouche.
En offrant le gîte et le couvert à une communauté de petites guêpes parasites et prédatrices, la plante permet ainsi de maintenir leur population dans les cultures d’oliviers au moment où la mouche de l’olive est active sur les oliviers. Ainsi elle apporte un contrôle naturel et une régulation de ces populations de mouches de l’olive.
D’autres plantes joueraient ce rôle d’agent biologique sur les populations de la mouche de l’olive, comme la laitue des vignes (Lactuca viminea), l’asphodèle rameux (Asphodelus ramosus) et la molène à feuilles sinueuses (Verbascum sinuatum).
Il faudrait 4 à 5 ans pour que les équilibres agro-écologiques se reforment et que le cycle de la « plante relai » s’adapte à celui de l’olivier. Cette méthode d’introduction de « plante relai » est utilisée en agriculture biologique et elle s’inscrit dans une démarche et une lutte sur le long terme sans utilisation de substances chimiques.
Une plante des pharmacopées traditionnelles
En Provence, l’inule visqueuse est désignée sous le nom de « Erbo dî masco » ou herbe de sorcière. Si les sorcières sont connues pour leurs chapeaux pointus, leurs grandes marmites et leurs décoctions fumantes, ces femmes étaient aussi des guérisseuses.
L’aunée visqueuse est une plante médicinale traditionnelle du bassin méditerranéen.
Dans ses parties aériennes, il y a des flavonoïdes (responsables de la coloration2 des fleurs et des fruits et de la protection de la plante contre les UV, ils ont aussi un rôle de défense contre les pathogènes et des insectes ravageurs), des terpènes (composants majeurs des résines) et des lactones (qui ont un rôle de défense contre les organismes extérieurs).
Cette dernière famille de composants, nous la retrouvons majoritairement chez les astéracées. Les lactones sont souvent situées au niveau des poils sécréteurs, au niveau des feuilles, des tiges et des bractées des inflorescences. Elles sont souvent responsables des allergies de contact.
Rappelez-vous le manteau poilu. Celui-ci sécrète des substances sous forme d’huile essentielle qui peuvent augmenter en cas de stress. Les huiles essentielles des fleurs et feuilles séchées sont utilisées en tisanes pour calmer les rhumatismes (Sardaigne), soigner les maladies du système urinaire, respiratoire comme les bronchites mais aussi pour les troubles digestifs et le paludisme. Les feuilles vont également servir à arrêter les écoulements de sang et aider à cicatriser.
Ainsi la plante a des propriétés antibactériennes, antifongiques, vermifuges, anti-inflammatoires, analgésiques (diminuer la sensation de douleur) et antioxydantes.
Et ce n’est pas tout. En Ligurie, les feuilles séchées ont pu être utilisées comme succédané au tabac. On retrouve aussi des traitements anti-infectieux et des traitements pour faire baisser la tension (hypotensive) à base d’aunée visqueuse.
Ses racines produisent naturellement de l’inuline (sucre voisin de l’amidon) et du camphre. Cette dernière substance est aussi abondamment produite dans les racines de chicorée. L’inuline est l’un des moyens de stockage d’énergie utilisé chez les plantes. La plante contient également des principes actifs comme l’eucalyptol et du thymol.
Enfin, les rameaux d’aunée visqueuse étaient suspendus dans les appartements pour retenir les moustiques qui auraient le malheur de se poser. Ceux-ci sont naturellement retenus par l’aspect collant des tiges et des feuilles. Pendant la guerre, alors que le charbon était rare et cher, des plantes entières pouvaient être employées comme combustible. Il suffisait de les laisser sécher un peu avant de les utiliser.
1 Qui contient une substance visqueuse extraite des végétaux (algues), se gonflant au contact de l’eau.
2 Du rouge à l’ultraviolet en passant par le jaune.
Pauline Arnéodo
Guide-animatrice au Domaine du Rayol
Sources :
http://nature.jardin.free.fr/vivace/ft_inula_viscosa.html
https://www.scah-nice.fr/phocadownload/ABJ/ABJ71.pdf
https://www.tela-botanica.org/2016/04/article7431/
https://www.apiculture.net/blog/plante-mellifere-l-inule-visqueuse-n161
https://inpn.mnhn.fr/espece/cd_nom/95187
https://www.herbea.org/fr/downloads/4563/2016_Warlop_PlantesUtilesOlivier_Lecomte2015_LutteNaturelleMoucheOlive.pdf
http://www.theplantlist.org/browse/A/Compositae/
L’Inule visqueuse (Inulaviscosa), Bulletin de la Société Botanique de France, 70:1, 139-141, DOI: 10.1080/00378941.1923.10836827 : https://doi.org/10.1080/00378941.1923.10836827https://afidol.org/wp-content/uploads/2020/03/2018-AFIDOL-Guide-protection-phytosanitaire-bio-et-raisonnee.pdf
https://dspace.univ-bba.dz/handle/123456789/430
https://www.urbapi.com/quest-ce-que-le-taux-de-hmf/
https://blog.vegenov.com/2014/03/defense-plantes-exsudats-racinaires-arsenal-cache/
Photo couverture : © Domaine du Rayol, Quentin Loquay