Le 14 septembre 2020
Longtemps classés parmi les arts mineurs, les jardins sont pourtant des lieux de créations révélant les pensées de leurs commanditaires qui en ont fait les théâtres de leurs connaissances artistiques, techniques et végétales, et ce dans un contexte social et financier particuliers. Véritable palimpseste de toute une époque et de comment les hommes conçoivent la nature, le jardin n’est donc jamais neutre et possède un réel intérêt historique. Ainsi, bien que récent et singulier, le Domaine du Rayol est, comme ses semblables, le miroir géographique d’une mode et d’une idée. Vieux de plus d’un siècle, les éléments encore présents comme la pergola, résultent des styles antécédents que nous allons décrire ici.
Les jardins à la Renaissance
Le jardin est étymologiquement un espace clos, un Hortusconclusus, dont la fonction première est, au Moyen-Âge, nourricière. Jusqu’à la fin du XVe siècle, ce sont donc principalement des vergers, potagers ou jardins botaniques avec des plantes médicinales. Seule l’Italie se distingue en Europe par la présence d’éléments « antiques », alors sources d’inspirations. Avec la chute de Constantinople, en 1453, les parcs européens furent inondés de plantes asiatiques que les mercenaires rapportèrent des jardins musulmans, dont les apports en botanique et hydraulique étaient déjà avérés depuis le XIIIe siècle. Ces développements de savoir marquent la Renaissance, avec un renouveau scientifique et un désir des humanistes de conjuguer art et nature. C’est la pierre angulaire des jardins italiens du XVIe siècle qui se caractérisent par leur capacité à exploiter le paysage environnant avec l’architecture. En effet, les reliefs accidentés permettent les perspectives montantes et les jeux de vues. De plus, l’eau, les grottes, les labyrinthes et les statues y sont systématiquement explorés de programmes iconographiques, dotant l’espace d’une dimension imaginaire1.
Avec sa pergola d’inspiration Antique/Renaissance et ses grandes perspectives, soulignées par la topographie naturellement vallonnée du site, le Domaine du Rayol, sous les premiers propriétaires, s’inscrit dans la tradition des jardins de la Renaissance italienne. Cette confusion des genres est typique de l’époque : ce goût italianisant et ce « méditerranéisme » à l’antique singularisent la Côte d’Azur au début du XXe siècle, où l’on veut retrouver un certain idéal de la villégiature antique2.
L’époque baroque et classique
Le XVIIe siècle connaît un climat intellectuel favorable à l’élaboration de traités scientifiques et esthétiques sur les jardins, jusque là confiés à l’architecture ou à l’agriculture. Deux textes de la Renaissance ont eu une influence considérable au XVIIe : De reaedificatoria de Léon Battista Alberti en 1485 et l’HypnerotomachiaPoliphili (Le songe de Poliphile) de Francesco Colonna en 1499. Les Français appliquèrent rigoureusement les principes d’Alberti car ils trouvèrent un écho dans la rationalité classique que connaissait alors le pays avec Descartes. Alberti impose l’harmonie dans les jardins, lesquels obéissent entièrement à l’architecture, cet art étant celui faisant le plus appel à la science. Les perspectives linéaires, s’allongeant vers l’infini, sont dominées par le regard du propriétaire depuis la fenêtre de sa demeure. C’est la marque de l’absolutisme et du jardin régulier (dit « à la française ») : Versailles, Vaux-le-Vicomte et Chantilly servent de lieu de démonstration du pouvoir. Tout, dans ces lieux symétriques et asservis par l’homme, suggère l’idée de l’immuable et de l’équilibre absolus.
Sous la direction du chef jardinier, Etienne Gola pour Henry Potez, les jardins se dotent d’une nouvelle personnalité, plus sophistiquée et disciplinée, fortement inspirée par la géométrie. Devant la façade nord de la villa Rayolet, est aménagé un petit jardin « à la française ». Devant la pergola sont aussi aménagés des petits parterres très décoratifs, aux motifs de petite taille, sans doute inspirés des jardins modernistes des années 1920-1930, eux-mêmes descendants des jardins à la française.
Du Rococo au Romantisme
C’est par Antoine Watteau, Jean-Honoré Fragonard, François Boucher et d’autres peintres de la Régence, qu’un idéal de jardin se forge dans toute l’Europe : l’art, à l’image de la société, se libère de la sévérité du classicisme, les lignes s’assouplissent. C’est le style Rococo et les prémices du jardin irrégulier (dit « à l’anglaise »).Si, au milieu du XVIIIe siècle, le jardin géométrique persiste toujours, il est largement bouleversé par l’esprit des Lumières et la sensibilité rousseauiste, qui donneront une nouvelle approche de la nature. Celle-ci se libère du joug de l’homme et se veut plus proche des paysages de campagne, alors recherchés par l’aristocratie qui l’idéalise. En effet, les jardins imitent une nature exclusivement bucolique, sorte d’Éden perdu, agrémenté par des fabriques – petits bâtiments de diverses formes – sensées offrir à chaque détour de chemin un sujet de réflexion selon la forme qu’elles prenaient. C’est aussi la mode de l’exotisme, propagé par l’intermédiaire des missionnaires jésuites, dont certains côtoyaient les parcs des empereurs chinois.
Les jardins du Domaine de Rayol, sous les Courmes, se rapprochent du style paysager du XVIIIe siècle, alors dit jardin « à l’anglaise » car la nature n’est pas entièrement domestiquée et taillée. La volonté de créer une ambiance pastorale est surlignée pas la présence de la ferme qui rappelle alors le hameau de Marie-Antoinette. Mais c’est surtout la présence des fabriques (pergola, puits, grotte avec rocaille) qui est caractéristique de ce style pittoresque où chaque endroit du jardin laisse place à un univers fictif, une échappatoire à la réalité et à l’époque.
Les XIXe et XXe siècles
Les fabriques perdurent grâce à la sensibilité romantique même si la Révolution industrielle, les progrès techniques et la découverte de nombreuses plantes, les transforment. La naissance des sociétés horticoles, durant la première moitié du XIXe siècle est un événement fédérateur essentiel pour les jardins, alors de plus en plus ouverts au public. En effet, associés à la volonté de proposer des espaces aérés pour tous, les parcs se démocratisent. Le jardin privé connaît également un renouveau : la villégiature s’impose comme phénomène marquant de l’urbanisme du XIXe siècle et les parcs sont associés aux joies de la vie champêtre, comme le style paysager du siècle précédent. Au XXe siècle, le mouvement des arts décoratifs engendre auprès d’un certain nombre de mécènes cultivés, une inclination à valoriser leurs résidences et jardins par l’insertion d’éléments de remploi, provenant de toutes les époques de la création.
Comme beaucoup de jardins à cette époque, les Courmes installent divers éléments empruntés aux précédents styles et époques. Constituant ainsi une sorte de synthèse entre composition de la Renaissance, jardins paysagers, grands parcs d’acclimatation et idéal du jardin méditerranéen défini par le paysagiste Ferdinand Bac en 1920. Lien très étroit entre l’architecture et les arts décoratifs aussi comme le veut l’époque3.
Après une période de désintérêt général pour l’art du jardin dans les Trente Glorieuses, les nouvelles considérations écologiques de la fin du XXe permettent un regain d’intérêt sur ce sujet et relancent l’activité des paysagistes comme ce fut le cas pour Gilles Clément.
1 Jean Guillaume, « Y a t-il un « Jardin de la Renaissance » ? », in : Architecture, jardin, paysage : l’environnent du château et de la villa aux XVe et XVIe siècles, actes du colloque, Tours, 1-2 juin 1992, Paris : Picard, 1999, p. 7
2 Extrait de Jean-Jacques Gruber, Architecture d’époque. Quelques œuvres de Guillaume Tronchet. Clichy : Impr. Max Cremnitz, 1935
3 LESOUEF, Camille, Thèse : Les jardins géométriques en Europe entre 1895 et 1925: un aspect de l’union et de l’architecture et des arts décoratifs, sous la direction de Jean-Philippe Garrric, Paris I, 2015
Jeanne Pottier
Volontaire en service civique au Domaine du Rayol