Parlons patrimoine : le Domaine du Rayol sous les Courmes (1908-1940)

Parlons patrimoine : le Domaine du Rayol sous les Courmes (1908-1940)

Le 12 octobre 2020

Alfred Courmes : homme d’affaires, explorateur colonial et mondain parisien

Portrait d'Alfred Courmes

Portrait d’Alfred Courmes

Alfred Théodore Augustin Courmes est né à Bormes-les-Mimosas le 28 août 1859. D’après les registres de l’Etat civil, les Courmes sont de très ancienne souche borméenne (au moins depuis le XVIIe siècle). Il est le fils unique de Béatrice Marie Emilie Escouffier et de Germain Lange Emile Courmes, fabricant de bouchons dans l’un des grands centres du massif des Maures.
Après des études à Paris, Alfred devient un important homme d’affaires et explorateur colonial. Il a effectué pour le compte de sociétés privées des placements financiers dans les colonies, en faisant l’acquisition et en gérant des concessions minières, des terres agricoles ou des forêts de bois.

D’après les Mémoires de Thérèse, ses affaires l’auraient conduit au Maghreb, à Madagascar, à La Réunion, à Constantinople, au Tonkin, à Ceylan, en Australie, aux Nouvelles-Hébrides, en Amérique, en Inde ou en Australie.
« Et quand je dis « un homme du vaste monde », je puis l’attester. En effet, il était un grand voyageur »1.

Ses affaires autour du monde ne l’empêchent cependant pas de profiter de la vie mondaine et de la haute société parisienne. Il est membre de plusieurs grands cercles mondains : des Chemins de Fer et Automobile Club de France, alors fondé en 1895. Outre ses relations politiques, il fréquente les milieux des lettres et des arts. Ainsi, parmi ses amis, on trouve notamment Guillaume Tronchet, architecte du gouvernement. Il est également l’un des membres fondateurs de la Société du Livre d’Art. Homme de lettres, il écrit un roman publié en 1885, Jours d’amour, faisant l’objet de plusieurs critiques, plus ou moins élogieuses, dans la presse de l’époque.


La rencontre avec Thérèse Chouanard

Alfred et Thérèse Courmes, St-Tropez, 15 août 1912

Alfred et Thérèse Courmes, St-Tropez, 15 août 1912

C’est sans doute lors d’une soirée mondaine qu’Alfred-Théodore rencontre Thérèse Chouanard. Née à Etouy, dans l’Oise, elle est la fille de Paul Emile Chouanard, riche industriel, possédant la cartonnerie et la papeterie Chouanard à Etouy, et de Clémence Catherine Marie Désirée. Dans ses mémoires, Thérèse détaille des anecdotes qui ont marqué son enfance à la campagne, entourée d’animaux puis son mariage qui a lieu le 27 mars 1912 à Paris. Alfred, alors de vingt-six ans son aîné, est impatient de lui montrer le Domaine du Rayol, déjà en cours d’aménagement, puisque acheté en 1908. Après ce premier bref séjour au Rayol, Alfred et Thérèse partent en voyage de noce en Italie. Ils reviennent à l’été 1912, puis régulièrement afin de suivre les travaux d’aménagement de la propriété.


La mise en place des bâtiments et l’installation

Alfred et Thérèse Courmes devant la ferme, novembre 1912

Alfred et Thérèse Courmes devant la ferme, novembre 1912

Dès la fondation de la propriété en 1908, un schéma directeur guide les aménagements (à la fois paysagers et architecturaux) du domaine du Rayol. Alfred Courmes engage son ami architecte, Guillaume Tronchet21, qui sera le concepteur de tous les éléments bâtis du Domaine. Alfred quant à lui donne les directives pour définir l’organisation des différentes parties du jardin. Embauché après la Seconde Guerre mondiale par les Courmes, le jeune jardinier-paysagiste Pierre Victor Halary a sans doute beaucoup contribué à l’ampleur prise par le jardin, grâce à ses connaissances dans l’acclimatation des plantes exotiques.
Les travaux de l’Hôtel de la Mer, première villa des Courmes, appelée alors « grande villa », commencent à l’été 1912. Pendant les années de travaux, le couple vit dans la ferme, aménagée comme un lieu d’habitation provisoire, à la rusticité toute idéalisée. Thérèse, dans ses mémoires, semble avoir beaucoup aimé pouvoir goûter aux charmes d’une vie simple et bucolique. La ferme reflétait parfaitement son idéal d’une vie à la campagne.

Les années 1913 et 1914 se déroulent tranquillement, entre les séjours à Paris, à Etouy, au Rayol, à Londres ou en Italie. Avec la Première Guerre mondiale, les Courmes décident de se réfugier un temps au Rayol puis retournent à Paris en novembre 1914 et ne repasserons qu’en 1917. L’immense fortune d’Alfred a été durement touchée pendant la guerre. Le couple décide de vendre leur appartement parisien pour venir s’installer définitivement au Rayol. C’est à ce moment-là que sont terminés les travaux de décor et d’aménagement de l’Hôtel de la Mer. Une fois les travaux achevés, cela devient un véritable lieu dédié au repos et aux loisirs3, bien éloigné de la vie mondaine d’avant-guerre. Les Courmes n’ont pas eu d’enfants, mais ils reçoivent leur famille tous les étés au Rayol.


Le jardin

A cette époque, le jardin comporte plusieurs éléments de décor que sont les fabriques, dont une pergola d’inspiration antique (1910). En empruntant un escalier rustique traité en rocaille, on pénètre au fond du vallon où est mis en scène un puits « à l’antique » avec des bancs en rocaille et d’énormes jarres en terre cuite, rajoutant une dimension onirique à l’espace. Ces différentes « fabriques » sont reliées entre elles par une grande allée principale dont le tracé souple suit la topographie vallonnée du site, ainsi que par des chemins sinueux permettant de ménager des perspectives surprenantes.
Autour de la pergola se déployait également un jardin exotique, qui rejoint l’engouement pour l’acclimatation des plantes tropicales au XIXe siècle. Aujourd’hui, araucaria, eucalyptus, callistemons, acacias, palmiers variés, agaves ou encore figuiers de barbarie, sont les témoins de ce jardin qui devait rappeler à Alfred Courmes ses voyages autour du monde. S’y trouvaient aussi un jardin potager, un verger, une roseraie et un parterre de saison.


Vie au Domaine dans les années 1930

 Au début des années 1920, un projet de lotissement pavillonnaire voit le jour au Rayol, porté par la Société « La Terre de France ». Alfred Courmes saisit l’opportunité offerte par la création de cette station balnéaire pour transformer une partie de sa propriété en lotissement. Dès lors, petit à petit, le Domaine du Rayol se rétrécit. Dans ses Mémoires, Thérèse témoigne des changements provoqués par la création de la station balnéaire au Rayol et regrette les jours d’avant.

En 1926, les limites du Domaine sont redéfinies. Les Courmes n’auront vécu que 5 ans dans la première villa : Thérèse la trouvait trop vaste, sonore, exposée et peu fonctionnelle. Ainsi, ils se font construire, toujours sur les plans de Guillaume Tronchet, une seconde villa plus modeste et intimiste. Le Rayolet, achevé vers 1927, s’élève à l’autre bout de la propriété, sur le promontoire oriental.


La fin des Courmes au Rayol

Si projet il y a eu, comme la « Villa Figuière », la mort brutale d’Alfred Courmes, survenue le 23 août 1934, arrête tout. N’ayant pas eu d’enfants ou héritiers ayant droit à succession, l’ensemble des propriétés d’Alfred Courmes revient à Thérèse. Cette succession ne se fait pas sans souffrance pour elle qui, en plus de ce deuil douloureux, doit gérer les dettes de son mari. Elle vit par la suite encore six années au Domaine et parvient à le vendre au début de la Seconde Guerre mondiale. Le constructeur aéronautique Henry Potez se porte acquéreur et l’achète en 1940.

Thérèse déménage ensuite à Bormes mais a néanmoins conservé quelques terrains au Rayol, qu’elle avait acquis avec sa mère et son frère en 1924 : ainsi elle lèguera à sa mort à sa dame de compagnie, Madame Cavallo, un petit terrain au-dessus de l’ancienne voie de chemin de fer. Elle meurt à Bormes le 22 mai 1970.

Jeanne Pottier
Volontaire en service civique

Article rédigé d’après les recherches de Laurence Schlosser en 2018.

Mémoires de Thérèse. Archives privées de la famille Chouanard.
2 Il est probable que Guillaume Tronchet et Alfred Courmes se soient rencontrés à l’occasion de l’Exposition Universelle de 1900. En tout cas, leur amitié est confirmée par les Mémoires de Thérèse.
3 Thérèse aimait la bonne cuisine. Elle en parle assez souvent dans ses Mémoires et possédait une belle collection de livres de cuisine. Elle a aussi écrit plusieurs cahiers de recettes.
Photo de couverture : Thérèse devant la terrasse de la Villa Rayolet, mars 1932 © Archives privées Chouanard

Le Domaine du Rayol, Oser les Méditerranées (Actes Sud)Pour en savoir plus :
« Le Domaine du Rayol, Oser les Méditerranées » (Acted Sud)
Un voyage sensible de 1900 à nos jours à la découverte du Domaine du Rayol.
De Jean-Philippe Grillet et Gilles Clément.
Recherches documentaires de Laurence Schlosser.
Photographies de Pascal Tournaire.
39 € TTC. En vente à La Librairie des Jardiniers.