Le 26 janvier 2021
Le Domaine dans l’incertitude
Dans les années 1960, si Cavalaire et Le Lavandou se sont développés de manière quelque peu anarchique, la Corniche des Maures restait encore caractérisée par la présence d’immenses villégiatures privées, construites au début du XXe siècle. Ces espaces quasi vierges ont, dès lors, suscité la convoitise de divers promoteurs.
Pour le Domaine du Rayol, le projet de la SCI Les Terrasses de la Mer prévoyait des petits immeubles collectifs de 284 logements, dont certains situés à 40 mètres de la mer. Il devait cependant obtenir l’accord du ministre de l’Environnement. Débute alors une opposition pour préserver le lieu.
Au niveau national, trois temps forts illustrent cette prise de conscience de la nécessité de protéger le littoral : la création du Conservatoire du littoral en 1975, la directive d’Ornano (1979) et la Loi Littoral (1986).
En 1979, la publication par arrêté préfectoral du Plan d’Occupation des Sols définit la zone comme un parc boisé magnifique : « L’espace a une très grande valeur paysagère ». Puis est créée, le 15 janvier 1980, « l’Association des Amis du Rayol » qui obtient la reconnaissance d’association de défense de l’environnement. En mars 1989, le Domaine du Rayol est finalement acquis par le Conservatoire du littoral. Il est alors en friche car un seul homme, Henri Robinia, le gardien, s’en occupe depuis qu’Henri Potez a vendu le Domaine à la Mutuelle d’assurances du corps sanitaire français en 1974.
L’acquisition et le projet
Peu avant l’acquisition, un projet avait été demandé au paysagiste français Gilles Clément par le Conservatoire du littoral. Ce projet, qui montrait que le Domaine pouvait avoir un intérêt économique et touristique pour la commune sans passer par l’urbanisation, est approuvé par un conseil interministériel en décembre 1988.
Une fois acquis, le Conservatoire souhaite ouvrir très rapidement le Domaine au public, bien qu’il soit en friche. La création du Jardin commence donc par une grosse phase de débroussaillage. De nombreux arbres sont morts à cause du gel de 1986. Il faut aussi dégager les sentiers, et effectuer un inventaire détaillé de la faune et la flore. Celui-ci est réalisé par François Macquart Moulin, botaniste de formation, entre 1989 et 1990.
Dans son projet, Gilles Clément avait défini plusieurs phases de travaux, priorité étant donnée à la sécurisation (débroussaillage, élagage, pose de barrières, mise hors d’eau des bâtiments) puis à la création des jardins. Les arbres morts sont tous évacués en mail 1991.
Création et mise en place du futur Jardin des Méditerranées
Afrique du Sud
La première phase de création des jardins se concentre autour de la pergola. La parcelle de l’Afrique du Sud, désignée par le terme de « jardin-témoin », est réalisée entre janvier et juin 1990. Gilles Clément choisit volontairement des végétaux à floraison rapide et estivale afin d’offrir aux visiteurs de belles vues pendant leur visite. Le chantier prendra un peu de retard à cause des limitations financières et des contraintes du marché de végétaux. Le prélèvement direct sur le terrain suppose en effet des autorisations gouvernementales et de nombreux contrôles phytosanitaires.
Sont plantés : polygales en arbre (Dimorphotheca), jacinthes du Cap (Galtonia candicans), mimosa épineux (Acacia karroo), canne à pêche des anges (Dierama pulcherimma), fleur-ananas (Eucomis bicolor). En 1991 est ajoutée une collection d’aloès sous la pergola.
Australie
La parcelle commence à être aménagée en 1991 (sols et cheminements). La même année, François Macquart Moulin et Gilles Clément vont en Australie. En février 1992, débute la création de l’escalier, et en mars, la réalisation de la calade du protea par Gilles Clément lui-même, puis la plantation des premières plantes, dont les Xanthorrhoea glauca dits « black-boys ».
En avril 1993, dans son point d’étape, Gilles Clément déclare : « Derrière la pergola, le jardin australien achève d’être planté. ». En 2006, des dons (d’un couple anglo-australien et d’ALEP) permettent d’acheter des Xanthorrhoea.
Amérique aride
Cette parcelle n’était pas présente dans le projet initial de Gilles Clément (qui était seulement un jardin « austral »). La création a été décidée suite à l’acquisition de la Collection Wiedercker.
Les travaux débutent en 1991 avec la mise en place de la rocaille, des chemins (changement de la canalisation et nivellement pour le ruissellement des eaux de pluies) et la plantation avec des pierres entre les mégalithes.
Suite à la visite de Gilles Clément en octobre 1993, Philippe Deliau (qui créera plus tard l’atelier ALEP) souligne : « La rocaille devra être achevée pour l’ouverture au public en 1994 avec de nouvelles plantations et la mise en place d’un liner recouvert de cailloux par endroits. L’angle ouest de la rocaille ne devra pas être planté avec des « cactus » mais avec des plantes méditerranéennes ».
Nouvelle-Zélande
Cette parcelle est prévue dans la première phase des travaux. Plusieurs plantations sont faites dès 1991. Les végétaux sont fournis d’après une liste établie par Gilles Clément en novembre 1990. En mars 1991, Ellébore (jardin d’acclimatation du bois de Boulogne) propose de fournir, entre autres, plusieurs espèces de Hebe, Leptospermum et Muehlenbeckia. Par ailleurs, en mars 1991, l’INRA d’Angers envoie des Metrosideros excelsa, des Sophora, des Leptospermum scopiarum ainsi que des Pachystegia insignis et des genêts.
La Lettre du Domaine du Rayol de juillet 1993 indique la plantation d’une prairie de Carex. La même année, a également été réalisé le muret en pierres sèches du talus des Carex, avec plantation du Muehlenbeckia. Gilles Clément, au printemps 1993, indique : « Le jardin néo-zélandais est en phase d’achèvement. Il reste à traiter le thalweg selon le principe de forêt dense abritant des fougères arborescentes et autres espèces de bord d’eau. »
Californie
Le bilan de 1991 mentionne : « Réalisation du jardin californien 1re tranche » et en 1992, le programme d’aménagement prévoit la plantation « urgente » d’une haie de Ceanothus. En 1993, Gilles Clément écrit : « Dans l’état actuel du chantier, la partie californienne semble reléguée à des échéances lointaines, voire abandonnée ». En visite guidée, en 1996, il est dit : « La parcelle qui se trouve à l’est de l’Hôtel de la Mer sera consacrée à un jardin californien ».
Ce jardin n’est alors pas encore réalisé du fait de la difficulté rencontrée pour trouver des plantes californiennes sur le marché horticole français ou européen. La même année, sont plantés des Yucca brevifolia, tous morts aujourd’hui. En 2002, des contacts ont été pris en Californie pour obtenir des Escholtzia viables, mais les derniers semis n’ont pas tenu.
Amérique subtropicale
À l’origine, cette parcelle comportait des Washingtonia robusta et des Nolina longifolia. François Macquart Moulin mentionne aussi un Brahea armata (palmier bleu du Mexique) à proximité de l’Araucaria de Bidwill. Cette parcelle est préparée en 1991 (réseau d’arrosage et labour) puis plantée avec des Escholtzia notamment.
A l’été 2002, plusieurs palmiers américains subtropicaux sont plantés, notamment trois palmiers argentins (Syagrus) qui avaient été entreposés plusieurs mois devant la Ferme.
Chili
François Macquart Moulin et Gilles Clément se rendent au Chili en 1992, car il y a alors très peu de plantes chiliennes sur le marché français. Aussi, presque toutes les plantes chiliennes ont été récupérées pendant ce voyage (semis, boutures ou jeunes plants de la pépinière de la Faculté des sciences agronomiques de Santiago). Le Domaine du Rayol est alors le premier à tenter de faire pousser des plantes chiliennes en France. Seuls les Jubaea chilensis ont été achetés en Europe.
Le programme de 1994 annonce la création du « jardin chilien à l’entrée du Domaine » et la « plantation d’araucarias dans le jardin chilien oriental ».
En 2000, les jardiniers effectuent le curage du puits-citerne : ils trouvent alors une grenade à manche datant de la Seconde Guerre mondiale.
En 2001, il y a dix Jubaea chilensis sur la parcelle du Chili ouest.
Asie subtropicale
En janvier 1993, Gilles Clément explique : « En remontant le ruisseau jusqu’au puits se développe une partie chinoise – annoncée par les kakis et les bambous – pour laquelle il reste beaucoup à faire. Les travaux de cette année vont porter sur le recyclage de l’eau sur la portion de ruisseau qui traverse l’ombre à cet endroit. Ainsi y aura-t-il toujours une chute, même au cœur de l’été. ». En juillet 1993, la Lettre du Domaine n°1 indique que cette cascade est faite, ainsi qu’un petit bassin.
Cycas, bambous et glycines sont plantés en 1994. Près du puits, des bambous et une glycine blanche sont installés mais il faut attendre l’an 2000 pour voir de nombreuses plantations dans cette parcelle : Rhaphiolepis et un Jasminium mesnyi, deux Poncirus trifoliata (citronniers épineux), une douzaine de pieds de Nandina domestica (bambou sacré). De nouveaux cycas sont plantés sur le talus supérieur. En 2001, Albert Tourette fait don de 6 Cycas revoluta.
Canaries
Cette parcelle n’était pas prévue dans le projet, alors initialement dédiée à la Californie et à la végétation du maquis. Gilles Clément a mentionné que cela s’est décidé en 1993 avec une livraison de plantes, notamment des Dracaena draco, déjà présents à Monaco et donc adaptables au lieu. Cependant, la genèse de cette parcelle est difficile à suivre. Le planning des travaux de 1993 mentionne « la plantation du jardin des dragonniers » début mars. Des vipérines sont ensuite plantées à leur pied.
Les mimosas occupent une grande partie à côté de l’escalier.
En 1998, l’ensemble de la parcelle canarienne est retravaillée. Gilles Clément souhaitait – notamment – empêcher le passage entre la Californie et les Canaries (les visiteurs empruntaient ce sentier pour entrer ou sortir sans passer par l’accueil). Un nouveau sentier est créé à quelques mètres.
En 2003, un dragonnier d’une quinzaine d’années est donné par un particulier, Bernard Raymond, au Domaine du Rayol. Il est planté au-dessus de ses deux congénères qui ont alors une trentaine d’années.
Jeanne Pottier
Volontaire en service civique